La théorie BAPtiste
ou
l'hypothèse de la cascade amyloïde
Extraits du livre de
P. Whitehouse et D. George
Le mythe de la maladie d'Alzheimer
ou
l'hypothèse de la cascade amyloïde
Extraits du livre de
P. Whitehouse et D. George
Le mythe de la maladie d'Alzheimer
Notons tout d'abord qu'enchâssé dans chaque membrane de cellule nerveuse se trouve un composé produit naturellement et nommé protéine précurseur de l'amyloïde (Amyloid Precursor Protein : APP), qui aide les neurones à croître et à survivre par des moyens que la science ne comprend pas complètement à l'heure actuelle.
Or, on croit que l'APP facilite la communication entre les cellules. Ainsi, dans un cerveau sain, l'APP, qui est composée d'environ 700 éléments (constitutifs des protéines) nommés acides aminés, est divisée et relâchée des membranes cellulaires par l'action d'enzymes appelés sécrétases. Différents types de sécrétases peuvent agir sur différentes portions de l'APP, créant des peptides de longueurs différentes. Les peptides sont de petites protéines composées d'acides aminés.
Ce mode différent de division de l'APP (protéine précurseur de l'amyloïde) est important, car l'hypothèse de la cascade amyloïde soutient que ce fragment de protéine bêta-amylooïde (BAP) formé de 42 acides aminés est toxique pour le cerveau. Selon cette théorie, le fragment de BAP libère des molécules réactives qui altèrent la chimie neuronale lorsqu'il est déposé parmi les neurones; ces molécules compromettent la structure et le système de transport nutritif des neurones et peuvent précipiter la formation de dégénérescences neurofibrillaires tau-positives, lesquelles conduisent à la mort cellulaire et au développement graduel d'une démence.
Bien qu'il puisse sembler logique de tenter d'empêcher les bêta- et gamma-sécrétases d'être présentes dans le cerveau, le potentiel des sécrétases en tant que cibles thérapeutiques est réduit du fait que des enzymes telles que les gamma-sécrétases sont impliquées dans divers processus partout dans le corps, y compris dans la différenciation des cellules souches dans la moelle épinière, qui deviennent des globules rouges et des lymphocytes. Des chercheurs ont tenté d'inhiber les gamma-sécrétases chez les souris génétiquement modifiées, mais ces tentatives ont entraîné des effets toxiques.
Néanmoins, plusieurs compagnies travaillent actuellement sur des inhibiteurs des gamma-sécrétases.
Les données les plus solides en faveur de l'hypothèse de la cascade amyloïde proviennent d'études menées dans les années 1990, qui ont exploré des familles qui étaient particulièrement à risque de développer une maladie d'Alzheimer. Ces études qui on fait date ont mis en évidence des mutations génétiques rares sur le chromosome 21, lequel contient le gène codant pour la production de l'APP (la protéine précurseur de l'amyloïde).
Des mutations du chromosome 21 affectent la production de l'APP et augmentent la formation de filaments protéiniques de bêta-amyloïde dans le cerveau, lesquels sont hautement susceptibles de former des dépôts insolubles qui détruisent les neurones. Si un exemplaire de ce gène "fautif" est transmis de parent à enfant, cela crée un caractère génétique "inévitable", c'est-à-dire que l'individu qui en hérite développera inévitablement des symptômes de maladie d'Alzheimer s'il vit assez longtemps.
D'autres mutations "inévitables" du même type ont été trouvées sur les chromosomes 1 et 14 qui, tout comme les problèmes sur le chromosome 21, sont à l'origine d'une forme génétique forte de maladie d'Alzheimer, dont la probabilité d'être héritée d'un parent est de 50 %. Ces mutations génétiques affectent des molécules appelées présénilines, qui sont liées à la présence de gamma-sécrétases, lesquelles influent sur le processus de dégradation de la protéine précurseur de l'amyloïde et semblent être associées à la formation de la forme toxique à 42 acides aminés de la protéine bêta-amyloïde.
Certaines de ces formes autosomiques dominantes peuvent être diagnostiquées par l'identification de mutations spécifiques qui sont présentes dans ces familles à risque sur les chromosomes susmentionnés; de fait, les membres de ces familles rares peuvent subir un test sanguin qui permet de leur dire s'ils sont ou non porteurs du gène. Cependant, ceci ne peut pas être fait dans chaque cas, car tous les cas de maladie d'Alzheimer à début précoce ne sont pas dus à ces mutations.
Ces mutations génétiques autosomiques dominantes sur les chromosomes 1, 14 et 21 sont très rares et n'affectent peut-être que quelques milliers de familles dans le monde. En effet, les facteurs de prédisposition au risque d'avoir la maladie d'Alzheimer à survenue tardive ont été localisés sur le chromosome 19. Ainsi, il existe deux configurations génétiques héréditaires principales affectant le risque de maladie d'Alzheimer : ce qu'on a déjà évoqué et ce qui va suivre.
En effet, il existe une seconde catégorie de facteurs de risque génétique qui augmentent le risque en regard des formes sporadiques plus fréquentes et de survenue plus tardive de maladie d'Alzheimer, que l'on voit chez les personnes âgées de 60 ans ou plus.
Des chercheurs ont montré que les personnes porteuses d'une certaine variante d'un gène localisé sur le chromosome 19 et qui contrôle la production de l'apolipoprotéine E (ApoE) — une protéine qui normalement aide au transport du cholestérol — ont un risque élevé de développer une maladie d'Alzheimer plus tard dans la vie. Il existe trois variantes — les allèles — du gène de l'ApoE : E2, E3 et E4. Du fait que tout enfant hérite de deux gènes, un de chacun de ses parents, il existe six combinaisons d'allèles possibles : E2/E2 — E3/E3 — E4/E4 — E2/E3 — E2/E4 — E3/E4. Les combinaisons contenant l'allèle E4 sont associées à une probabilité élevée de développer une maladie d'Alzheimer plus tard dans la vie, la présence conjointe de deux allèles E4 conférant le risque le plus élevé.
Nous reviendrons sur ces facteurs de risque plus tard en parlant de la génétique et de la médecine moléculaire.
Toutefois, notons dans l'immédiat qu'il est impératif de se souvenir que si la présence de l'ApoE4 augmente la prédisposition à la maladie d'Alzheimer, elle ne cause pas la maladie en tant que telle. En d'autres termes, il n'existe pas de gènes à l'implication inévitable; ce sont seulement des gènes de prédisposition, qui peuvent augmenter le risque.
Notons enfin que, tout récemment, des scientifiques se sont concentrés sur des structures nommées dimères et sur de nombreuses autres modifications liées à la protéine bêta-amyloïde qui se forment aux stades initiaux, avant l'agrégation des plaques séniles.
La dimérisation fait référence à ces stades initiaux du processus d'agrégation, qui précédent la formation plus importante de plaques séniles. Les chercheurs se demandent si ces associations dimériques, plus petites et plus précoces, de la protéine bêta-amyloïde sont en fait des formes toxiques et si les plaques séniles sont des "éviers" qui aspirent les formes néfastes et essaient de prévenir les dégâts des formes plus solubles. En arrière-plan, la question est bien sûr de savoir si l'amyloïde est toxique pour le cerveau ou si elle représente un mécanisme de réparation neuronale.
Problèmes liés à cette théorie :
La théorie de la cascade amyloïde soulève quelques problèmes fondamentaux :
1) Les scientifiques ne comprennent pas encore exactement comment la bêta-amyloïde tue les neurones. La toxicité réelle des diverses formes d'amyloïde n'a pas été démontrée de manière systématique et certains chercheurs croient que le dépôt amyloïde est un phénomène secondaire; il représenterait même, peut-être, une tentative du cerveau de déclencher des mécanismes réparateurs et de compenser des structures ou fonctions perturbées en cas de lésion cérébrale.
Certains (George Perry et ses collègues) ont suggéré que l'amyloïde pourrait être un mécanisme adaptatif de réparation, tout comme un taux élevé d'hémoglobine (laquelle est normalement toxique lorsqu'elle est fortement concentrée) dans la circulation sanguine constitue un processus d'adaptation pour les personnes vivant en haute altitude.
Bien que ce soit sujet à controverse, l'hypothèse d'une fonction protectrice de l'amyloïde est appuyée par certaines publications scientifiques et elle explique aussi pourquoi de nombreuses personnes âgées montrent peu, ou pas, de déclin cognitif, malgré la présence d'un nombre élevé de protéines bêta-amyloïdes (BAP).
Ceux qui remettent en question l'hypothèse de la cascade amyloïde accusent les efforts thérapeutiques actuels pointés vers une diminution de la production amyloïde ou l'élimination des dépôts amyloïdes de ne faire qu'exacerber le processus morbide, car ils risquent d'éliminer un agent protecteur.
2) Les chercheurs ne savent pas trop si les plaques séniles amyloïdes sont responsables de la dégénérescence des neurones ou si elles sont tout simplement les marqueurs des endroits ou la mort neuronale s'est déjà produite — au fond, c'est le problème de la "poule ou de l'oeuf". Comme mentionné plus haut, nous ne savons pas quelle forme de protéine bêta-amyloïde (BAP) est toxique dans le cerveau humain ni même exactement s'il s'agit de la toxine primaire.
3) La protéine bêta-amyloïde (BAP) s'accumule dans tous les cerveaux à mesure qu'ils vieillissent. Le processus peut même débuter chez des personnes dans la vingtaine. Il serait anormal qu'une personne vieillissante n'ait pas de BAP dans son cerveau et, de fait, des études clinico-pathologiques de personnes avec un vieillissement normal démontrent que près d'un tiers des personnes normales sur le plan clinique ont dans leur cerveau des niveaux de plaques séniles amyloïdes suffisants pour garantir qu'un diagnostic de maladie d'Alzheimer aurait été posé si elles avaient présenté des signes cliniques de démence. Ainsi, établir un seuil à partir duquel l'accumulation de protéine bêta-amyloïde devient une maladie constitue un défi.
4) On n'observe pas, au travers de toutes les études, de corrélations fortes et cohérentes entre les plaques séniles et les déficits cognitifs de la maladie d'Alzheimer. En fait, des quantités variables de plaques séniles (et de dégénérescences neurofibrillaires) sont trouvées dans les cerveaux de personnes présentant la maladie d'Alzheimer; mais ces caractéristiques pathologiques apparaissent également chez les personnes âgées normales, chez lesquelles on ne diagnostique aucun dysfonctionnement cognitif durant leur vie.
Comme je l'ai mentionné, il arrive parfois que des personnes dont les cerveaux présentent un niveau élevé de plaques séniles, dépassant souvent le critère pour la maladie d'Alzheimer, obtiennent des performances cognitives aussi élevées que celles de personnes qui présentent peu de protéine bêta amyloïde (BAP). Inversement, il arrive parfois que des personnes chez lesquelles on a diagnostiqué une maladie d'Alzheimer aient une concentration de plaques séniles dans leur cerveau moindre que celle de personnes qui n'ont pas présenté plus tard de symptômes de maladie d'Alzheimer.
L'explication possible en est que les cerveaux de certaines personnes sont tout simplement plus résistants que d'autres aux plaques séniles. Ainsi, l'existence de BAP dans un cerveau ne signifie pas nécessairement qu'une personne présentera une maladie d'Alzheimer dans sa vie.
En conclusion, le rôle des plaques séniles reste encore à démontrer. En dépit de cette incertitude, des efforts considérables sont consacrés à développer des médicaments qui pourraient inhiber l'action des bêta- et gamma-sécrétases afin de prévenir la formation du fragment de BAP à 42 acides aminés, soi-disant toxique.
Une fois encore, je dois insister sur le fait que l'APP (protéine précurseur de l'amyloïde) et certains de ses constituants jouent un rôle dans le fonctionnement normal du cerveau. Il n'est pas sûr que l'altération de son métabolisme apportera un bénéfice aux patients et de telles actions pourraient même s'avérer dommageables.